Par Luke Johnson
Parfois, la réussite peut être aussi nuisible que la défaite. Lorsque certaines entreprises connaissent un grand succès, elles tombent souvent dans les files de divers maux. Ceux-ci sapent les raisons mêmes qui ont conduit ces entreprises à réussir. A titre d’exemple, les entreprises extrêmement rentables ont tendance à laisser proliférer la bureaucratie tel un virus. Ce qui non seulement augmentera les dépenses, mais entravera le changement et deviendra une fin en soi. General Motors était le plus grand constructeur automobile du monde depuis des décennies. Il détenait une immense part de marché qui lui a permis de profiter d’énormes marges et de grands flux de trésorerie grâce à une demande croissante. De nouvelles couches de gestion se sont donc glissées dans le système, justifiant toute leur existence et augmentant ainsi les coûts et l’inflexibilité au sein de la structure. Ce n’était qu’après la faillite que le constructeur automobile avait véritablement commencé à adopter une politique allégée et efficiente. Le temps nous dira si la culture adoptée a changé suffisamment pour permettre à GM de prospérer à long terme. Les entreprises en position dominante pensent souvent qu’elles peuvent exploiter les clients, et parfois même les ignorer.
Les transporteurs monopolistiques dont notamment les compagnies aériennes nationales et les opérateurs ferroviaires, par exemple, sont généralement focalisés sur le bien-être des managers et du personnel, et ignorent presque celui des passagers. Les compagnies aériennes les plus rentables de façon constante et croissante dans le monde sont les modèles perturbateurs, low-cost tels que Ryanair, easyJet et Southwest. Malgré tous leurs avantages apparents, les transporteurs nationaux ne peuvent généralement pas rivaliser économiquement contre l’efficacité de tels rivaux. La logique est la même pour l’ensemble de l’industrie. La rentabilité massive de ces entreprises peut devenir une dépendance dangereuse. Ces organisations tendent à s’habituer à ces conditions et ne réalisent pas que leurs rendements sont excessifs et insoutenables. Deux leaders de l’industrie britannique dont GlaxoSmithKline, l’entreprise pharmaceutique, et BP, le groupe d’énergie, ont été malmenés par les autorités de réglementation américaines au cours des dernières années. Les deux entreprises ont subi d’énormes dégâts financiers et leur réputation a été ternie pour avoir prétendument pris des risques inappropriés ou enfreint les règles.
Ils ne sont pas les seuls, bien sûr à être dans cette situation. Ces deux industries ont bénéficié de marges et de rendements massifs pendant de nombreuses années, ce qui a dû nourrir une certaine arrogance et une complaisance. Mais l’ère des profits exceptionnels pourrait bel et bien être révolue. Hollywood a monstrueusement sur-récompensé ses patrons et ses stars, et a permis aux syndicats d’augmenter exagérément les coûts, car il a gagné énormément d’argent dans la production des DVD. Mais cet argent finit par se tarir et l’activité de la vidéo à la demande a prouvé qu’elle n’est pas intarissable. Les studios se bousculent, espérant que les ventes internationales, les effets spéciaux et les suites interminables régleront leurs problèmes. Mais la créativité à l’écran est au plus bas, et je pense que le secteur en subira les conséquences dans les années à venir. Triompher dans un segment peut conduire les patrons dans une spirale descendante de folie des grandeurs et de conviction qu’ils peuvent réaliser les plus grands exploits avec brio. EMI était l’une des plus grandes entreprises de musique enregistrée dans le monde: mais son conseil d’administration a dilapidé ses grands flux de trésorerie et ses catalogues fantastiques dans une myriade d’autres activités par le biais de fusions et acquisitions, des tomodensitomètres aux microprocesseurs en passant par l’électroménager et la location des téléviseurs.
Plutôt que de se concentrer sur une compétence de base, le management team gâté avec l’envergure de son entreprise peut devenir ennuyeux et complaisant, l’incitant à diversifier ses activités susceptibles de détruire la valeur de son entreprise. Dans le même contexte, il existe un autre mal qui n’est que le complexe de l’édifice qui mène les magnats à construire des monuments pour eux. Pour ne citer qu’un exemple classique, celui du siège social de l’entreprise Enron, construit sur 50 étages. Une tour ovale en verre au centre-ville de Houston. Après la faillite d’Enron, le bâtiment a été vendu pour environ un cinquième de son évaluation précédente. La politique du bureau est un syndrome qui touche toutes les organisations: elle tend à être pire chez ceux qui gèrent des franchises très lucratives, parce qu’ils peuvent se permettre une telle décadence. Dick Brass, l’ancien vice-président de Microsoft a parfaitement exposé la gravité de la situation dans un article publié par le New York Times en 2010. Il a expliqué comment le groupe de technologies aurait pu lancer une tablette 10 ans avant Apple, mais les guerres intestines ont tué le projet. D’autres divisions, créées au sein de Microsoft n’ont pas apprécié le détournement de ressources et ont ainsi saboté l’innovation. Tenir les clients pour acquis, la bureaucratie, la politique du bureau, la diversification peu économique, l’auto-indulgence et la cupidité du management, la complaisance réglementaire - les nombreux dangers du succès signifient que la grandeur d’une entreprise n’est point éternelle